Muscles et fosse axillaire

Incidence et facteurs de risque des infections nosocomiales en urologie

Introduction

Les infections nosocomiales constituent un problème majeur tant au plan de la santé publique que de la prise en charge individuelle des malades à l’hôpital. Leur survenue est à l’origine d’une surmorbidité, d’une surmortalité et d’un surcoût financier qui sont loin d’être négligeables [1].

Globalement, il existe 2 types de méthodes épidémiologiques pour déterminer la fréquence des infections nosocomiales: les enquêtes de prévalence et les enquêtes d’incidence. Les premières visent à mesurer transversalement, un jour donné, le nombre de malades infectés dans un secteur rapporté au nombre total de malades présents ce qui aboutit à un taux de prévalence. Les secondes correspondent à un suivi longitudinal de tous les malades admis ou opérés dans un secteur pendant une période continue parmi lesquels on identifie les malades qui s’infectent. On obtient ainsi un taux d’incidence rapportant le nombre de malades infectés au nombre de malades suivis pendant la période d’étude. Evidemment, cette dernière méthode reflète plus précisément la véritable fréquence des infections mais elle est plus consommatrice de temps et de personnel.

Prevalence des infections nosocomiales

Les résultats de l’enquête de prévalence nationale menée un jour donné en 1996 [2] montrent un taux de malades infectés de l’ordre de 7% dans l’ensemble des 830 établissements ayant participé à l’étude. Les secteurs de réanimation ont la prévalence la plus élevée (21% des 5880 adultes présents dans les secteurs de soins intensifs le jour de l’étude); ceci est principalement à relier à l’état de gravité des malades, et à la fréquence des gestes invasifs auxquels ils sont soumis, qui ont un rôle prépondérant dans le risque d’acquisition des infections.

Les services de chirurgie ne sont pas épargnés puisque, d’après ce même travail, ils affichent une prévalence de malades infectés de 6,1% (n=53 795 adultes), similaire à celle relevée en médecine. Le tableau 1 indique les taux de prévalence des malades infectés par spécialité chirurgicale. Ces résultats ont été obtenus à partir de l’analyse des données recueillies dans les hôpitaux de court-séjour de l’interrégion Paris-Nord lors de l’enquête de prévalence nationale [3]. En urologie, le taux observé était de 16,7% pour l’ensemble des infections (du site opératoire ou non), que les malades aient ou non été opérés.

Incidence des infections nosocomiales

Une évaluation plus précise des taux d’infections postopératoire nécessite une mesure de l’incidence, qui sera préférentiellement rapportée à un type d’intervention particulier. En urologie, l’infection urinaire est naturellement la première cause d’infection, les infections classiques de plaie opératoire n’ayant que la seconde place chez les opérés. Un des exemples classiques d’une intervention à haut risque d’infection urinaire est la chirurgie prostatique. Dans ce type de chirurgie, les données de la littérature [4-9] rapportent des taux d’infections allant de 19% à 40%, variations principalement dues à l’administration ou non d’une antibioprophylaxie et au statut infectieux urinaire du malade avant son intervention.

Pour préciser les caractéristiques de infections urinaires post-opératoires, à partir de données issues d’un grand nombre de centres chirurgicaux et de cas d’infections, le Comité d’Infectiologie de l’Association Française d’Urologie (CIAFU) a entrepris en 1998 une étude d’incidence des infections urinaires après chirurgie prostatique. Cette enquête est encore en cours, de nombreux services ayant récemment rejoint le groupe initial d’étude. Le dessin de cette étude multicentrique comporte un suivi prospectif des malades ayant subi une résection prostatique, comportant un examen cytobactériologique des urines avant l’intervention, au cours de la première semaine post-opératoire, à la sortie du malade, et un mois après l’intervention.

Les résultats préliminaires de cette enquête, portant sur les 8 premiers centres participants et 200 malades inclus, indiquent un taux d’incidence des infections urinaires de 22% (intervalle de confiance à 95%, 19 à 28%) chez les malades ayant reçu une antibioprophylaxie périopératoire, quel que soit le résultat de leur ECBU avant l’intervention.

Ce taux est très voisin de celui rapporté récemment par Colau, lors d’une enquête menée en 1997 et incluant 101 malades [10]. Dans ce travail, l’incidence des bactériuries nosocomiales après résection trans-uréthrale de prostate était de 26% (intervalle de confiance à 95%, 17 à 34%).

Une antibioprophylaxie péri-opératoire brève est en principe systématiquement pratiquée dans ce type d’intervention; elle permet de réduire environ de moitié le risque infectieux, en ciblant son action sur les bactéries habituellement rencontrées dans les infections postopératoires. Les données récentes indiquent que les étiologies microbiennes des infections urinaires nosocomiales post-opératoires ont changé par rapport aux données classiques, en montrant une augmentation relative des infections à cocci à Gram positif par rapport aux bacilles à Gram négatif. Ainsi, dans l’enquête CIAFU 98, les bactéries isolées des infections ou colonisations urinaires nosocomiales étaient dans 60% des cas des cocci à Gram positif, notamment des entérocoques. Dans le groupe des bacilles à Gram négatif, les entérobactéries représentent toujours plus de 90% des souches identifiées. Ces résultats sont tout à fait comparables à ceux retrouvés par Colau [10]. Ces variations sont la conséquence probable des antibiothérapies préalables et de la prophylaxie elle-même. Si elles se confirment à une plus grande échelle, ces données pourraient amener à reconsidérer les choix actuels de prophylaxie, et à recommander de sélectionner des antibiotiques dont le spectre d’activité inclut les entérocoques.

Facteurs de risque des infections post-operatoires

Infections de site opératoire

Les infections de site opératoires incluent les infections de la plaie opératoire (superficiel le ou profonde) et les infections de l’organe ou de la région opérée. La mesure des taux d’infection permet essentiellement de se situer par rapport à une référence et d’évaluer les actions de prévention entreprises. Cependant, une comparaison valide des taux d’infection de site opératoire (entre chirurgiens, hôpitaux, ou simplement de leur évolution dans le temps), nécessite de tenir compte du degré de sévérité de la maladie sousjacente de l’opéré ainsi que d’autres facteurs de risque importants. Le réseau national de surveillance des infections nosocomiales nord-américain (NNISS) a élaboré, à partir de données collectées entre 1987 et 1990, un score de risque dont l’objectif est de mesurer la probabilité d’acquérir une infection de site opératoire [11]. Cet indice qui peut varier de 0 à 3, représente le nombre des facteurs de risque présents: (1) un score ASA [12] pré-opératoire de 3, 4 ou 5, (2) une intervention de type contaminée ou sale selon la classification d’Altemeier [13], et (3) une durée opératoire prolongée (au-delà du 75ème percentile de la durée moyenne des interventions de même type). La figure montre les taux d’infection de site opératoire en urologie répartis en fonction de la catégorie d’intervention et de la valeur de l’indice de risque, d’après l’étude du NNISS. Ces taux sont bien corrélés à l’accumulation de facteurs favorisant la survenue de l’infect ion .

Les bactériuries post-opératoires

Les facteurs de risque de survenue de ces infections sont principalement liés aux techniques de sondage et à l’intervention elle-même. Le respect du système de drainage urinaire clos est un élément essentiel de prévention et les manipulations du système un des facteurs de risque essentiel d’infection; le sondage itératif, les obstructions de sonde et les irrigations, sont des facteurs potentiels, ainsi que la durée globale du sondage post-opératoire [7, 9, 10].

L’étude de Vivien et al. [7] portant sur 857 résections endoscopiques retrouve une incidence de bactériurie de 19%, associées à la présence d’une bactériurie pré-opératoire et une durée d’intervention supérieure à 70 min. Dans le travail de Colau [10], les facteurs associés à une bactériurie étaient également une durée d’intervention supérieure à 50 min. et la rupture du système de drainage clos. L’enquête du CIAFU sur la chirurgie prostatique devrait permettre de préciser ces facteurs à partir d’un grand nombre de malades.

Conclusion

Si les infections de plaie opératoire en urologie ne présentent pas de particularité notable par rapport aux autres types de chirurgie, l’incidence des bactériuries post-opératoires y est élevée, notamment après chirurgie prostatique. Ces infections urinaires sont aussi associées à une surmortalité et à une surmorbidité [14] qui, sans atteindre le niveau de celles des pneumopathies ou bactériémies nosocomiales, justifient néanmoins les efforts de prévention en raison de leur fréquence. A la lumière de la plupart des analyses de facteurs de risque, le sondage urinaire et ses modalités semblent être à l’origine de ces infections. La première approche de prévention est donc certainement d’optimiser les pratiques liées à l’utilisation de cette procédure de soins.

References

  1. GIROU E, BRUN-BUISSON C. Morbidity, mortality, and the cost of nosocomial infections in critical care. Curr Opin Crit Care 1996, 2:347-51.
  2. COMITÉ TECHNIQUE NATIONAL DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (CTIN). Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales, 1996. Bull Epidemiol Heb 1997, 36:161-3.
  3. CCLIN Paris-Nord. Les infections nosocomiales chez les patients opérés. Résultats de l’enquête de prévalence dans l’interrégion ParisNord en 1996. Bull Epidemiol Heb 1998, 29:125-6.
  4. GRABE M, HELLSTEN S. Long-term follow-up after transurethral prostatic resection with or without a short peri-operative antibiotic course. Br J Urol 1985, 57:444-9.
  5. IBRAHIM AI, BILAL NE, SHETTY SD, ET AL. The source of organisms in the post-prostatectomy bacteriuria of patients with pre-operative sterile urine. Br J Urol 1993, 72:770-4.
  6. HARGREAVE TB , BOTTO H, RIKKEN GH, ET AL. European collaborative study of antibiotic prophylaxis for transurethral resection of prostate. Eur Urol 1993, 23:437-43.
  7. VIVIEN A, LAZARD T, RAUSS A, ET AL. Infection after transurethral resection of the prostate: variation among centers and correlation with long-lasting surgical procedure. Eur Urol 1998, 33:365-9.
  8. RAZ R, ALMOG D, ELHANAN G, ET AL. The use of ceftriaxone in the prevention of urinary tract infection in patients undergoing transurethral resection of the prostate (TUR-P). Infection 1994, 22:347349.
  9. TAYLOR EW, LINDSAY G. Antibiotic prophylaxis in transurethral resection of the prostate with reference to the influence of preoperative catheterization. J Hosp Infect 1988, 12:75-83.
  10. COLAU A. Bactériurie après résection trans-uréthrale de la prostate. Mesure du taux d’incidence et étude des facteurs de risque. Thèse de Doctorat en Médecine. 1998.
  11. CULVER DH, HORAN TC, GAYNES PG, ET AL. Surgical wound infection rates by wound class, operative procedure, and patient risk index. Am J Med 1991, 91 (suppl 3B):152S-157S.
  12. KEATS AS. The ASA classification of physical status - a recapitulation. Anesthesiology 1978, 49:233-6.
  13. ALTEMEIER WA, BURKE JF, PRUITT BA, SANDUSKY WR (EDS). Manual on control of infection in surgical patients. Philadelphia: JB Lippincott, 1976.
  14. PLATT R, POLK BF, MURDOCK B, ET AL. Mortality associated with nosocomial urinary-tract infection. New Engl J Med 1982, 307:637-42.